Article psy sur l’ABDL

Un article de psychologie par Giovanni Sabato paru sur Cerveau & Psycho, disponible sur cairn.info et sur Cerveau&Psycho

Ils portent des couches et apprécient le biberon : ce sont les adult babies, ou bébés adultes. Des personnes ordinaires qui, par plaisir, adoptent des comportements infantiles, un phénomène de plus en plus répandu.

En bref

Enfiler une couche, boire le biberon ou jouer avec un hochet : tel est le dada de milliers d’adultes appelés ABDL, autrement dit, en français, « bébés adultes et amateurs de couches ».
Les uns souhaitent revivre les sensations de l’enfance, les autres fétichisent la couche-culotte.
Derrière ces comportements, ni TOC ni pédophilie. Mais, le plus souvent, une enfance malheureuse qu’on cherche à « revisiter ».


Mario, tout heureux, se laisse mettre une couche-culotte. Puis il part à quatre pattes jouer avec des peluches. À l’heure du biberon, il tète, juché sur une chaise haute, avant de faire dodo dans un lit à barreaux.

Rien d’étrange à tout cela, si ce n’est que Mario a 36 ans. Il fait partie de ceux que l’on appelle les adult babies-diaper lovers (ABDL), en français « bébés adultes-adeptes des couches », c’est-à-dire des adultes qui adorent adopter des comportements infantiles (les adult babies), enfiler des couches (les diaper lovers), voire les deux.

D’aucuns classent ce phénomène dans la grande famille des paraphilies, que l’on appelait autrefois perversions : un intérêt sexuel intense pour autre chose que l’accouplement classique entre adultes consentants. Ces tendances sont considérées comme non pathologiques tant qu’elles ne sont pas source de souffrance pour l’intéressé ou ses partenaires – dans ce dernier cas, on parle de trouble paraphilique. Pourtant, pour beaucoup, les pratiques ABDL n’ont pas grand-chose à voir avec le sexe. Ces comportements « étranges » ont des racines plus complexes, encore mal comprises et peu étudiées par les psychologues.

Actuellement, le nombre de personnes ABDL est difficile à estimer, même si la Diaper Alliance Foundation parle de 34 000 adeptes pour la France. Dans certains pays comme l’Italie, le phénomène commence à être étudié par les psychologues. « C’est un phénomène souterrain. Ces personnes ont une vie sociale et professionnelle ordinaire, mais pour vivre leur ressenti profond, elles mettent un masque. Les repérer est difficile, car elles ne cherchent pas d’assistance psychologique et n’ont pas d’autres contacts liés à ces comportements, pas plus qu’elles ne disposent d’associations de référence », explique Raffaella Perrella, professeure associée au département de psychologie de l’université Luigi-Vanvitelli à Caserte, dans le sud de l’Italie. Avec son collègue Vincenzo Paolo Senese, elle a coordonné une enquête sur les ABDL italiens, parue en 2020 dans la revue International Journal of Environmental Research and Public Health. Réalisée en collaboration avec les doctorants Antonietta Lasala et Francesco Paparo, il s’agit de la première étude sur le sujet en Europe.

Une simple recherche sur le web suffit à se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Sur Fetlife, un réseau social dédié aux adeptes du BDSM – l’érotisme fondé sur l’échange consensuel de pouvoir dans le cadre de rapport de domination et de soumission, le bondage et les pratiques sadomasochistes ou assimilées –, on trouve plus de 1 000 groupes d’ABDL, la plupart centrés autour d’une zone géographique ou d’une pratique spécifique. Certains comptent plusieurs milliers d’inscrits, ce qui est presque autant que les groupes touchant aux thèmes les plus populaires de ce milieu, comme la fessée.

Bébé adulte cherche amateur de couches-culottes

Jusqu’à son récent décès, le psychologue américain Brian Zamboni comptait parmi les chercheurs les plus prolifiques sur le sujet. Spécialiste de la sexualité humaine au sein de l’université du Minnesota, il a conduit une grande étude sur près de 2 000 ABDL recrutés et interrogés en ligne. Il en a tiré une série d’analyses publiées entre 2014 et 2019.

La vaste majorité des répondants étaient de sexe masculin et n’éprouvaient de détresse psychologique quant à leurs préférences que du fait de leur faible acceptation sociale : peur d’être découvert ou incompris, honte vis-à-vis des proches ou désapprobation du partenaire. En effet, la moitié des répondants étaient en couple, et si quelques-uns avaient la chance d’avoir un partenaire qui les comprenne et qui parfois se prenne au jeu, en revanche la moitié d’entre eux rapportaient que leur compagne ou compagnon réprouvaient ces penchants infantiles.

Il émerge de cette étude un panorama hétérogène. Le phénomène ne correspond ni à un type de comportement unique ni ne s’explique par des motivations identiques pour tous : il recouvre un éventail de jeux, de sensations et de causes, que l’on peut rattacher à deux grands courants.

Les diaper lovers (DL) aiment avant tout enfiler une couche-culotte, qui revêt une valeur sexuelle explicite. Pour certains, cette préférence relève du fétichisme : ils éprouvent de l’excitation à l’idée de mettre des couches ou du contact de leurs parties génitales avec le tissu, le plastique ou l’urine et les excréments – qu’ils peuvent simuler, pour éviter de se souiller avec de vraies déjections, en versant à l’intérieur de l’eau ou des aliments mous, comme du porridge ou de la banane. Ils peuvent aussi être excités par l’humiliation associée au fait de porter des couches ou par la soumission à « l’adulte » éventuel. Le jeu peut comporter d’autres éléments propres au rapport adulte-enfant, comme la fessée, qui revêt ici une valeur érotique. « Parce qu’elle implique la dimension sexuelle, il s’agit là d’une paraphilie, qui peut s’inscrire dans la catégorie du BDSM », estime Perrella.

Le deuxième groupe est celui des adult babies (AB), pour qui les comportements infantiles constituent au contraire une forme de régression, c’est-à-dire un retour à un état antérieur de développement personnel, souvent à un très jeune âge. Ces comportements entrent dans le cadre de ce qu’on appelle les « jeux de régression » ou « ageplay », des jeux de rôle où l’on fait semblant d’avoir un âge qui n’est pas le sien, généralement celui de nourrissons, d’enfants ou d’adolescents. Les personnes concernées veulent avoir l’impression d’être des tout-petits, en adopter le comportement, utiliser leurs jouets, leurs couches, leurs chaises hautes et leurs biberons pour mieux s’identifier à cet âge et régresser au stade infantile. Lorsque le jeu est purement régressif, il n’implique rien d’autre que ce que vivrait un véritable enfant et exclut donc les actes sexuels. Certains éprouvent néanmoins un plaisir de cet ordre, mais celui-ci n’est pas le but recherché. Les jeux de régressions ne constituent donc pas un intérêt paraphilique, mais peuvent revêtir des fonctions variées.

Les raisons de la régression

L’infantilisme, comme d’autres situations de soumission, permet d’oublier ses responsabilités, de s’abandonner aux soins du partenaire, de s’autoriser la vulnérabilité, de donner et de recevoir cette acceptation et cette affection typique des rapports avec les plus jeunes, qui fait abstraction de ce que nous faisons et de ce que nous sommes, habiles ou maladroits, obéissants ou polissons, mignons ou vilains.

La partition en bébés adultes d’une part, et amateurs de couches d’autre part, doit cependant, selon les experts, être prise avec des pincettes. « On peut catégoriser ces comportements de différentes manières, selon les pratiques ou leurs motivations. Toutefois, il est difficile de définir précisément ces groupes, étant donné que les pratiques et les stimuli peuvent se chevaucher – comme pour les bébés adultes qui en retirent une excitation sexuelle – et évoluer au fil du temps. Il est donc plus juste d’envisager le phénomène comme un continuum de comportements et de motivations. Par ailleurs, puisque tant d’adeptes s’y adonnent pour des raisons qui ne sont pas sexuelles, peut-être faut-il cesser de le considérer comme une paraphilie », estime Zamboni.

Perrella abonde dans son sens : « Il faut aussi comprendre que les bébés adultes ne représentent qu’un cas extrême d’un spectre de manifestations plus anodines, mais qui se rattachent aux mêmes dynamiques. Par exemple, si une quinquagénaire rêve encore de devenir ballerine, ce désir ne pourrait-il pas être rapproché du phénomène des bébés adultes? »

Retour en enfance perdue ou sexualité déviante ?

Que recherchent les personnes qui se comportent en enfants ? Il n’y a pas de réponse univoque à cette question. « Étant donné la diversité de la nature et des manifestations de ce phénomène, on ne peut en identifier une cause précise : des personnes différentes le font pour des raisons différentes », estime Perrella.

Les pratiques ABDL aident les amateurs à se détendre, à échapper à leurs émotions négatives, à créer des liens sociaux et affectifs spontanés et débarrassés du poids des responsabilités. Pour certains, c’est en outre une tentative de revivre leur enfance. Ils espèrent retrouver un sentiment de dorlotement et d’amour qui leur a manqué quand ils étaient petits ou, au contraire, qu’ils ont ressenti en abondance et regrettent. « Nos ABDL ont le sentiment d’avoir sauté cette étape de l’enfance où on est entouré de cette affection particulière qui unit normalement l’adulte et le petit enfant ou, à l’inverse, de ne l’avoir que trop bien vécu. Un nombre significatif d’entre eux a subi des maltraitances quand ils étaient petits. D’autres ont l’impression d’avoir grandi trop vite, par exemple parce que la naissance d’un petit frère les a privés de l’attention de leurs parents. D’autres encore avaient des parents absents. Ils cherchent donc à combler un manque et à retrouver ce qu’ils n’ont pas pu vivre enfant, ou simplement à revivre ces merveilleuses sensations », explique Proudence Baelish, cofondatrice de l’association culturelle AB Nursery Italia.

Cette situation rend les ABDL vulnérables et les pousse à se cacher, pour deux raisons : « Parce que ce comportement est considéré comme un signe de faiblesse et un sujet de moqueries, et parce que certains l’assimilent à la pédophilie. » Or, sur ce dernier point, rien n’est plus faux.

Concernant la dimension sexuelle, « nul ne sait comment les préférences sexuelles se développent, qu’il s’agisse de l’orientation homo- ou hétérosexuelle, ou de pratiques comme le BDSM. Toutes les hypothèses formulées, comme celles d’abus dans l’enfance, de problèmes d’attachement ou de troubles psychiatriques, ont été démenties par la recherche et nous ne disposons d’aucune certitude à l’heure actuelle », explique Daniela Botta, psychologue à l’Institut de psychologie clinique de Rome, qui a publié une enquête sur les adeptes du BDSM en Italie dans la revue Journal of Sexual Medicine en 2019. Toutefois, certains motifs reviennent fréquemment dans les portraits d’ABDL tracés dans les études de différents pays.

Abus et maltraitances

On retrouve tout d’abord, comme dans les cas italiens cités par Proudence Baelish, la perception d’une enfance marquée par la négligence des parents, quand ce n’est pas par de véritables maltraitances. Beaucoup d’AB (si ce n’est tous) se caractérisent par un attachement anxieux à la figure de référence, ou par le fait d’avoir grandi dans une famille monoparentale, ou par le souvenir de mauvaises relations avec leur père et leur mère (indépendamment, bien sûr, du comportement réel des parents) ou encore par le fait d’avoir subi directement des violences physiques et sexuelles. Revivre ces moments à l’âge adulte est donc une manière de reprendre ses droits sur une période que l’on a l’impression de n’avoir pas vécue pleinement ; c’est aussi un moyen de revivre une expérience désagréable en étant cette fois maître de la situation, avec la certitude sereine que plus personne ne peut nous faire du mal, et de réécrire l’histoire pour que, cette fois, elle finisse bien.

Une autre série de raisons vise encore à soulager des émotions déplaisantes comme l’anxiété et la mauvaise humeur, mais liées à d’autres causes : par exemple, l’incontinence et les réactions des parents à celle-ci ; enfiler une couche-culotte procure alors un sentiment de protection. Plusieurs ABDL relient d’ailleurs l’origine de leur fantasme à un épisode d’énurésie.

En somme, jouer à l’enfant semble pour beaucoup une façon d’affronter des états négatifs d’origines diverses, de la tristesse à la frustration, de l’anxiété au poids écrasant des responsabilités. Cependant, là encore, les mécanismes en jeu ne sont pas les mêmes pour tous. Certains trouvent rassurant et libérateur de pouvoir uriner et déféquer dans une couche, d’abandonner leur maîtrise d’eux-mêmes et de leurs fonctions physiologiques sans risquer la honte ou l’humiliation. À l’inverse, certains recherchent précisément un sentiment d’humiliation en l’enfilant. D’autres encore sont excités par la transgression que représente le fait de porter, voire d’utiliser des couches en public, de la sensation de pouvoir être « vilain », du « pas vu, pas pris ». Enfin, certains trouvent simplement agréables les sensations procurées par la couche, le moelleux, la tiédeur, la moiteur ou le frottement contre le tissu et le plastique.

Certains, comme nous l’avons vu, trouvent dans cette pratique une stimulation sexuelle. La distinction entre ceux-là et les autres est cependant moins nette que ce que laisse à croire la division en deux catégories : même chez ceux qui ne citent pas l’érotisme dans leurs motivations premières, beaucoup évoquent des actes de masturbation ou des relations sexuelles avec le caregiver (nounou).

« Le rapport entre ABDL et caregiver relève toujours de la domination/soumission. Même sans les mauvais traitements caractéristiques des autres pratiques du BDSM, il s’agit d’une situation de domination d’un partenaire sur l’autre, où entrent en jeu la gestion du pouvoir, le sens des responsabilités de l’adulte, une forme de douce humiliation », observe également Baelish.

Les adult babies, adultes ordinaires ?

L’étude de Raffaella Perrella retrouve chez les Italiens globalement les mêmes profils, significations et motivations que dans les travaux internationaux. « Nous nous sommes tournés vers l’AB Nursery Italia, qui a partagé le lien vers notre étude sur les principaux sites et réseaux sociaux fréquentés par les ABDL italiens », explique la chercheuse. Les questionnaires sondaient les participants sur leurs caractéristiques générales, leurs antécédents médicaux et psychologiques, leurs souvenirs d’enfance et divers aspects psychologiques et psychopathologiques, tels que leur personnalité et les états d’anxiété et de dépression.

Ont répondu 38 personnes âgées de 18 à 74 ans, majoritairement des hommes, ayant souvent connu des expériences de manque affectif ou de rejet parental proprement dit (aussi bien de la part de la mère que du père), de l’anxiété et d’autres émotions négatives, ainsi que des épisodes d’énurésie. Beaucoup semblent en outre rencontrer des difficultés dans leurs relations sentimentales : la majorité d’entre eux étaient célibataires et seuls 16 % étaient en couple stable ; beaucoup n’ont jamais eu de partenaire sexuel et ne pratiquent que la masturbation.

« Les mauvaises relations avec les parents peuvent entraver le développement des rapports intimes et expliquer l’instabilité des relations. Le sentiment d’exclusion conduit souvent à des distorsions cognitives comme une hypersensibilité au rejet – réel ou perçu – et pousse donc à éviter les rapports interpersonnels qui pourraient réaliser cette crainte. C’est sans doute de là que naissent beaucoup des peurs et des anxiétés sociales rencontrées chez ces sujets, comme la crainte d’être jugé ou repoussé », observe Perrella.

Les fantasmes ABDL apparaissent généralement lors de la période prépubère, autour de 11 ans en moyenne, et les actes aux alentours de 19 ans. Cependant, l’âge de l’apparition des fantasmes permet, dans les grandes lignes, de distinguer deux groupes : sur le plan de l’adaptation psychologique et de l’image de soi, ceux qui les ont développés à l’âge adulte semblent mieux s’en tirer que ceux qui les ont connus avant l’adolescence. Ces derniers sont davantage sujets à l’anxiété, à l’instabilité émotionnelle et aux symptômes dépressifs. « Chez eux, l’intérêt pour les pratiques ABDL pourrait traduire un mal-être psychique enraciné, lié au sentiment d’être rejeté par ses parents. Les conséquences de ce ressenti les suivent dans la vie adulte. En revanche, chez ceux qui adoptent ces pratiques plus tard, il peut s’agir avant tout d’un jeu », explique Perrella.

Dans l’ensemble, les participants de l’étude ne présentent pas de troubles avérés, tels que le trouble obsessionnel compulsif, dont d’aucuns supposent qu’il serait à l’origine de certains cas, ni de véritable désadaptation psychologique, qui serait une conséquence de mauvaises relations perçues avec les parents. Ils montrent cependant certains signes de mal-être, comme des symptômes anxieux et dépressifs, et semblent donc avoir plus de difficultés psychologiques que la population générale ou que la population des adeptes du BDSM. En effet, « différentes grandes études menées des États-Unis à l’Australie, ainsi que la nôtre en Italie, montrent que les amateurs de BDSM présentent le même équilibre psychologique que l’ensemble de la population, voire sont meilleurs sur certains aspects, sans doute parce que la communication entre partenaires occupe une grande place dans leurs pratiques sexuelles. Celle-ci prend place aussi bien avant le jeu, avec l’échange autour des fantasmes, des désirs et des limites et la négociation de ce qui peut se faire ou non, qu’après, avec ce que l’on appelle l’aftercare, où l’on débriefe de ce qui s’est passé, des sensations éprouvées et où on soigne les éventuelles blessures de l’autre, y compris émotionnelles », explique Daniela Botta.

Toutefois, dans la nébuleuse du BDSM, ceux qui montrent le plus de fragilités lorsque quelque chose ne va pas sont les hommes qui jouent un rôle de soumis. « Ce sont eux qui, en cas de souffrance – dans notre enquête, il s’agissait de dysfonctions sexuelles –, le vivent le plus mal. On ignore pourquoi et nous proposons d’enquêter sur ce sous-groupe en tant que tel pour comprendre ses problèmes spécifiques. La raison pourrait en être le fait que le rôle d’homme soumis va à l’encontre des stéréotypes de genre et que ces personnes ont sans doute plus de mal à se réconcilier avec leurs pulsions », dit Botta.

« Or, le groupe d’ABDL italiens étudié ici, comme ceux des autres études, était surtout composé d’hommes, et l’“enfant” se situe dans une position de soumission par rapport au caregiver. Les difficultés rencontrées par les sujets pourraient dépendre de leur rôle d’homme soumis, et non de la pratique de l’ABDL », suppose Botta.


Les ABDL ne sont pas des pédophiles

Certains voient ceux qui aiment faire l’enfant comme des sortes de pédophiles, dans l’idée que « tu veux te sentir enfant, donc tu es attiré par eux ». Cette vision est bien entendu rejetée par les principaux intéressés, qui affirment : « Nous éprouvons envers les enfants un sentiment de tendresse et une volonté de les protéger, que nous voulons nous-mêmes ressentir quand nous retombons en enfance. » Les études scientifiques qui ont voulu vérifier cette idée vont dans leur sens.

Johaness Fuss, psychiatre au Centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf a publié en 2019 dans la revue Journal of Sex & Marital Therapy une étude sur plus de 1 900 adult babies de sexe masculin. Il montre que les attirances pédophiles ne sont pas plus fréquentes chez eux que dans la population générale.

« Quand bien même ce serait le cas, nous pourrions proposer une autre explication, précise Perrella. Certains ABDL ont souffert d’abus dans leur enfance et nous savons que certaines victimes deviennent à leur tour des pédophiles. Les AB ont cependant trouvé un autre moyen d’assimiler leur vécu : plutôt que de retourner contre un enfant la souffrance qu’ils ont ressentie, ils cherchent à être actifs, à adopter un mode d’action qui leur permet, en quelque sorte, de corriger leur expérience et de reprendre le contrôle. La fréquence de ce phénomène doit toutefois encore être étudiée. »


Une crèche réservée aux adultes

Dans plusieurs pays existent des associations dédiées aux bébés adultes : elles gèrent notamment des « crèches » et s’efforcent de diffuser des informations sur le phénomène auprès des amateurs et du public. En Italie a été fondée l’association AB Nursery Italia en 2015 par Proudence Baelish, diplômée de psychologie, qui y occupe les fonctions de nounou (www.abnursery.it).

« L’association cherche à informer sur le phénomène et propose des services au ABDL », explique Baelish. Elle organise notamment deux types d’événements. Les premiers sont ouverts à tous, y compris aux simples curieux qui veulent découvrir cet univers. Il s’agit, par exemple, de sorties au cinéma ou de rencontre « lait et gâteaux » pour prendre un goûter et bavarder, parfois parler à un psychologue ou écouter le témoignage d’un membre de l’association.

L’autre type d’événements, en revanche, est privé : il s’agit d’une « crèche » réservée aux bébés adultes. Ces derniers peuvent s’habiller comme des enfants, y compris en portant une couche-culotte si cela correspond à l’âge perçu, jouer comme des enfants et être accueillis comme des enfants. Avant l’épidémie de Covid-19, les séances avaient lieu tous les deux mois, en alternance entre Rome et une autre ville d’Italie. La crèche n’est pas à but lucratif (la participation demandée sert seulement à couvrir les frais) et la séance dure 4 à 5 heures, suivant un programme précis comprenant l’accueil, des jeux et des câlins, le repas, le changement des couches, la berceuse et les au revoir. Les contacts sexuels ou l’allaitement au sein sont formellement exclus, seules des activités de jeu et de soin sont prévues.

« Six bébés adultes seulement participent à chaque séance, car nous n’avons que deux nounous et les interactions prévoient beaucoup de contacts physiques : il est donc impossible d’en accueillir davantage, explique Baelish. L’âge perçu de la majeure partie de nos membres est compris entre 0 et 4 ans ; seuls deux ont 6 et 8 ans et font d’autres activités, comme des problèmes de mathématiques ou des dictées. Ce sont majoritairement des hommes, car nous avons remarqué que les femmes enfants tendent à instaurer une relation d’un autre genre, avec ce que l’on appelle un daddy, qui implique une certaine tension sexuelle. Les garçons, en revanche, sont en quête de câlins ; le sexe, ils le pratiquent dans leur vie quotidienne d’adulte. Nous avons aussi des sissy babies, c’est-à-dire des hommes qui changent non seulement d’âge, mais aussi de genre, et jouent à la petite fille. »

Là encore, beaucoup ont subi un mal-être, des maltraitances, une enfance vécue comme trop courte ou des parents absents. Plusieurs suivent une psychothérapie. « La crèche leur permet de contextualiser leur mal-être dans un contexte protégé. Mais parce que nous ne proposons pas assez de séances, beaucoup vont chercher ces contacts auprès de prostituées ou d’autres professionnels, qui n’ont souvent pas la sensibilité dont ils ont besoin. En général, ils le regrettent, mais ils y retournent, parce que cela reste mieux que rien », raconte Baelish.

« Au total, nous avons accueilli une centaine de personnes. Les faire venir n’est pas facile : ils ont beau être des centaines sur le web, quand on les invite, ils ont peur, ils pensent que nous voulons profiter de cette faiblesse qui est la leur pour les exploiter, les rejeter et j’en passe. Nous faisons donc un gros travail d’encouragement pour créer un climat de confiance. » Un travail malheureusement presque réduit à néant en 2017 par l’émission « Le Iene » (« Les Hyènes »), qui a diffusé de manière sensationnaliste des images prises à l’insu de l’association et notamment une vidéo de rapports intimes d’un couple, présentés comme une activité de la crèche. Comme toujours, le rectificatif diffusé la semaine suivante n’a nullement réparé les dommages causés ni arrêté les torrents de boue qui se sont déversés sur le web.